vendredi 22 février 2013

cascade de la Massue



Grimper la massue, un rêve éphémère.

Un rêve, parce que depuis que j’ai commencé la cascade de glace, cette ligne m’attire.
Un peu comme un aimant, un peu comme une vilaine drogue. On sait que c’est dangereux, risqué, mais on a quand même envie d’essayer, d’y gouter.
Le premier grade 7 de l’histoire (ex æquo avec la lyre)… le double cigare… l’énorme méduse sommitale sui donne son nom à la cascade. Une massue posé sur un tube de 2m de diamètre… un défi au cascadeur « Viens me grimper si tu en es capable, mais n’oublie pas d’être délicat »

Ephémère, parce que la massue est rarement formée et pas longtemps en condition.
Depuis l’ouverture en 92 par François Damilano, elle a du être grimpé 3 ou 4 fois, toujours avec précaution et par des très bons grimpeurs. Il faut que toutes les conditions soient réunies pour que la structure pousse (vers le bas) et se forme correctement. Il faut que le danger d’avalanche soit très limité pour s’aventurer dans le coupe gorge d’accès et dans la grimpe. Il faut que la température soit adéquate, pas de grand redoux ou refroidissement brutal le jour de l’ascension. Enfin il faut se sentir prêt physiquement et mentalement.

Ce mercredi 20 février, je ne me sens pas vraiment un guerrier. Plutôt chaton que lion !
Mais j’ai mon joker avec moi : Arnaud Bayol, mon collègue de travail, mais néanmoins ami. Aussi surnommé Bayol l’idole (à prononcer avé l’accent du sud oueest), c’est lui qui m’a traquenardé pour venir essayer : « Allez, c’est pas souvent formé… » « Allez, on va juste voir… » « Allez, au pire je grimpe tout en tête… »
J’ai beau me cherché toutes les excuses : « J’ai mal aux bras… » « On a pas mal bourriné les deux jours précédents… (« La dame du lac » et « Ilynx » le lundi, une grosse bartasse pour aller essayer l »e cirque des fonts » le mardi)» « J’ai pas trop fait de glace cette année »

Tout ça c’est dans ma tête. Je ne me sens pas prêt pour ce genre de voie. J’ai déjà dit que j’arrêterai la glace le jour ou j’aurai grimpé la massue. « Bon Ok nono, on va voir au parking et on avise… »

Le rendez-vous est pris au parking en face du monstre. Nicolas Beauquis est la aussi. Il a déjà grimpé la massue en 2011 et fait équipe cette fois avec le jeune Antoine Rolle. Nico a un gros vécu, une belle expérience des cascades très délicates. Tous les 4 nous admirons la belle aux jumelles. Les pronostics sur les chances de grimper ne sont pas glorieux. En 2010 Nico a du faire demi tour au pied de L2, l’eau s’écoulait à l’intérieur du tube.
Nous avançons en raquettes avec un sentiment bizarre, vraiment motivé mais peu confiant. Dans la tête le même doute, la même question : est-ce grimpable ?


Nous décidons de grimper la première longueur et de voir au pied de L2… A 4 l’ambiance est différente. 4 regards, 4 analyses, 4 décisions différentes. Il faut être vigilant quant à l’effet de groupe, mais d’un point de vu personnel je dirai, 2 fois moins de chance de renoncer. Nous choisissons de grimper à 4. Nico réalise la première longueur difficile.


 Le tube est en glace légèrement sorbet, il y a pas mal de relief, pas mal de pieds. C’est agréable. Il vient butter sous la méduse et traverse à gauche dans des stalactites. Il prend du dévers. Le rétablissement est physique, délicat. Antoine le rejoint en second et me laisse les broches pour gagner du temps.
Je grimpe en prenant du plaisir, les ancrages sont déjà fait, le nettoyage aussi. Il faut juste se concentrer sur la gestuelle, grimper calmement pour ne pas fragiliser la colonne.



Je me sens bien, en confiance, sans pression. La décision capitale sera à prendre au pied de L2, qui ne semble pas si mal vu de prêt.  Arnaud me rejoint et confirme que la première longueur est superbe, sans être trop facile.
Analyse à 4, nous regardons le tube devant nous, l’eau coule au travers… aïe.

Pour se protéger nous faisons un relais dans le cône avec 2 broches et 2 lunules de glace. Nous installons aussi un relais avec 2 pitons, triangulés dans le rocher, pas terrible mais au moins pas dans la structure !

Arnaud se sent d’essayer… sans pression… si les premiers mètres ne sont pas bons, il redescend et nous rentrons à la maison.

Il clipe un brin (le rouge) dans le relais du cône puis s’engage dans le tube. Je me suis décordé de l’autre brin (le jaune). Sa stratégie est de brocher régulièrement dans le tube pourtant peu stable sur le brin jaune, une fois dans la glace plus saine, collé au rocher il re-clipera le brin rouge. En cas de petite chute, il sera assuré par le brin jaune ; en cas d’effondrement de la structure, il sera assuré par le brin rouge. Mais à vrai dire, personne ne souhaite ce scénario catastrophe.

Il avance doucement, prudemment, délicatement. Il crochete de petites aspérités, de minces colonnes. Il est serein, le fait de brocher régulièrement lui permet de grimper sans se crisper, sans trop taper et surtout sans fragiliser la structure.



Le voilà au « hot spot », l’endroit ou le tube recolle le rocher.
L’endroit ou statistiquement les structures s’effondrent lorsque les piolets des grimpeurs envoient trop de vibrations dans la colonne.
Je suis bien concentré à l’assurage, mais pas stressé. Arnaud grimpe remarquablement bien. Il prend son temps. Il est fin, doux, délicat. Les mauvaises langues diront que ça ne lui ressemble pas trop, mais ça serait mal le connaître en glace !


Il passe le crux et s’engage dans la méduse. Le nettoyage des stalactites est physique. Il peut enfin mettre une bonne broche dans la glace saine et soufflé un coup. Nous aussi d’ailleurs.
Il est complétement cramé, cela fait plus d’une heure qu’il bataille dans cette longueur. Il casse les stalactites les plus fragiles, ce qui accentue encore le dévers.


Vu du bas c’est beau et impressionnant. Nous l’encourageons et il utilise ses dernières forces pour ce rétablir au dessus de la méduse. Ça sent bon la réussite.
Il lui reste une quinzaine de mètres avant de crier un « relais » salvateur.


Il ravale mon brin jaune et je ne suis plus relié au tube instable, seulement à quelques bonnes broches et au relais sommital par le brin rouge.

Même en second je me dois d’être léger. J’ai l’impression de grimper sur des œufs. Je ne trouve pas les crochetages d’Arnaud. Sans m’énerver, sans taper, je progresse doucement.


Chaque mètre gagné est un soulagement. Le « hot spot » avalé me donne encore plus confiance. Je me régale dans l’escalade athlétique de la méduse. Les ancrages d’Arnaud sont bons et visibles. Les piolets galbés et les crampons monopointes sont des armes dans ce genre de profil. Je le rejoins au relais avec un sourire de 3km. « Purée, on dirait bien qu’on l’a fait.»



Le jeune Antoine grimpe à son tour en tête. Il profite des broches en place et des ancrages pour se régaler. Lui aussi grimpe très bien, très léger.


 Une fois de plus la structure ne vacille pas. Au tour de Nico qui grimpe parfaitement et laisse éclater sa joie au relais. C’est la deuxième fois qu’il grimpe la massue. Cette ligne mythique. Chapeau.

Nous descendons en rappel puis en raquettes. Un dernier coup d’oeil à la belle qui nous a laissé lui chatouiller le ventre, sans sourciller.


Nous nous tapons dans les mains, nous nous remercions et félicitons. C’est un peu l’état de grâce. Une sensation grisante et unique. Celle d’avoir surmonté nos doutes, nos interrogations, nos peurs. Celle d’avoir pris les bonnes décisions face à une situation complexe et délicate.

Lorsqu’une journée aussi risquée se déroule bien, il est facile de se laisser aller à fanfaronner. Un sentiment enivrant de contrôle peut nous gagner mais il ne faut pas oublier le côté aléatoire et dangereux d’une telle entreprise. Une fois l’euphorie retombée, Arnaud a eu du mal à dormir et je me demande si le jeu en valait vraiment la chandelle.

Le « buzz » que peut amener sur la toile ce genre d’ascension ne doit pas faire oublier qu’il s’agit d’une entreprise très sérieuse. Attention à l’effet de groupe et surtout grimpez légers.

Je n’arrêterais pas la cascade après avoir grimpé la massue. Mais pour que des journées comme celle ci restent un plaisir, elles ne doivent pas être trop nombreuses. Elles doivent rester un rêve éphémère.


Antoine BLETTON.






samedi 9 février 2013

Crochues-Bérard (traversée)



« Mais comment ça s’appelle déjà cette figure de style qui consiste à rapprocher Deux termes que leurs sens devraient éloigner ? »
Un peu comme une obscure clarté ou encore quand il faut se hâter lentement…

Un coup de fil à Max Bonniot, qui tient aussi bien la plume que les pioches, me confirme qu’il s’agit bien d’un oxymore.

Certes « Crochues-Bérard » est une rando assez parcourue de la Vallée de Chamonix. Mais quand les conditions sont démentes comme ce vendredi 8 février, cette sortie en montagne se transforme en une « classique exceptionnelle ».


Pour notre expédition sur le Latok II en mai dernier, nous avons reçu une aide financière de la société UGITECH. En contrepartie, jeudi 7 février, nous leur avons proposé une soirée avec projection du film de l’expé ainsi qu’un débat/conférence sur la prise de décisions en montagne.

Olivier Bletton, Vincent Thiébaut et Jean-Claude Sibuet, présents lors de la conférence avaient bien envie de mettre en application cette idée de prise de décisions en montagne. L’idée était de faire une belle randonnée à ski dans la vallée de Chamonix, en utilisant les remontées mécaniques pour rallonger la descente et/ou raccourcir la montée (ça dépend du point de vue).

Le contexte est assez simple : il a neigé en abondance en montagne et les faces sont bien chargées. Cependant le Bulletin de Risque Avalanche annonce un risque limité de 2 sur 5 et la météo prévoie une fenêtre de ciel bleu.

Nous décidons donc d’aller sur l’itinéraire classique de « Crochues-Bérard », en espérant trouver de la bonne neige dans les descentes versant Nord.

Après avoir pris les remontées mécaniques de la Flégère, jusqu’au sommet du télésiège de l’index, nous mettons les peaux pour 400m de montée jusqu’au col des aiguille crochues (2704m). Comme prévu la neige est abondante mais semble assez stable. Les derniers 50m à pied sont assez sympas. Il y a tellement de neige fraiche qu’il faut creuser une sorte de tranchée pour pouvoir faire la trace !



La descente de l’autre côté nous fait oublier les efforts de montée. Pas une trace et une poudreuse de cinéma. Génial…Dément…Mythique…


C’est tellement bon que nous ne suivons pas l’itinéraire normal  (à droite, sous l’aiguille du Belvédère), nous descendons jusque dans la combe de la Balme.


Nous remontons ensuite par la combe d’envers Bérard , 500m de dénivelé en direction du col de Bérard (2450m).


La descente dans la combe de Bérard qui suit est un peu plus tracée par les skieurs qui ont choisis l’itinéraire normal, mais il reste largement de quoi se régaler.


Nous nous laissons glisser jusqu’au fond du vallon de Bérard et par un chemin jusqu’au hameau du Buet. Le sourire est encore accroché aux oreilles pour aller boire la bière.
Au final, 900m de dénivelé à la montée et 1800m de descente avec une neige de rêve, deux des participants qui disent « c’est la meilleure rando que j’ai jamais faite »

Une bonne décision…en montagne ;)