dimanche 19 mai 2013

Hunza matata



Comment écrire avec légèreté et humour sur une expé au Pakistan, après les évènements de ce week end ?

Comment expliquer que notre trip dans les hunzas était safe et rigolo pendant 1 mois, alors que 2 semaines après notre retour 10 alpinistes se faisaient lâchement assassinés au camp de base du Nanga Parbat par des talibans ?

Comment raconter à tous les copains et copines alpinistes que le Pakistan est l’avenir des expéditions himalayennes. Des montagnes vierges partout, des conditions idéales pour le ski et la goulotte au printemps et vraiment bien pour la grimpe et la haute altitude en été ?

Comment motiver les gens à se rendre sur place pour profiter des paysages grandioses et de l’amitié des locaux ?



Pas facile me direz-vous… alors pourquoi ne pas juste raconter l’expédition comme elle s’est réellement passée… dans l’amitié, la simplicité et la bonne humeur.

Le trajet pour se rendre au départ du trek n’est jamais la partie la plus drôle d’une expé. Mais si vous mettez 6 copains et 2 copines du Te Crew dans un bus, même traverser la Karakoram Highway et ses pistes défoncées deviens une partie de plaisir et de rire.


Même la météo exécrable au camp de base et le mètre de neige dont il est recouvert prennent une tournure sympa : « on a le temps de faire des jeux dans la tente mess et les conditions de ski seront meilleures ! »

Puis nos routeurs météo (Austro/Croates de talents !) Ivana Stiperski et Manuel Presser nous annoncent un créneau de 5 jours de beau temps suivi d’une période perturbée d’au moins 10 jours.

La question qui se pose à nous n’est pas simple : Partir en acclimatation sur notre objectif principal le Passu ou se rendre dans une autre vallée, sur un autre sommet moins haut pour s’acclimater ?



Avec seulement 3 nuits au camp de base à 4000m, a t’on une petite chance d’aller sur un sommet de 7000m ?
On choisit une solution mixte : partir en direction du Passu avec une possibilité d’aller sur un sommet voisin, un peu moins haut, le dernier jour d’ascension, si la forme n’est pas trop la (ce qui est censé être le cas sans acclimatation).

Départ du camp de base le 15 mai au matin (3h00). Il nous faut d’abord remonter une longue moraine puis un glacier bien tortueux que nous avons encore heureux repéré et tracé avec les GPS 2 jours plus tôt.


Nous voilà au pied d’une face/couloir de 1000m de haut. Des pentes à 30° au début qui se redressent à 40° sur une grande partie pour finir à 50° sur les 200 derniers mètres. Exposition Est, plus bas que 5200m… c’est à dire au soleil et en pleine chaleur depuis 4h du matin au Pakistan ! Un coupe gorge parfait, un piège à avalanche évident dans lequel on se retrouve tous les 8 à 11h du matin. Parfait ?!?


Mais avait on d’autres options ? Parfois en expé il faut savoir sortir de sa zone de confort et accepter un risque mesuré, nécessaire à l’ascension.

Le premier bivouac se fait au sommet de ce couloir à 5200m, sur un magnifique plateau glaciaire qui nous montre la suite de l’aventure.


Le lendemain est toujours aussi classe. On remonte entre les séracs, rimayes et crevasses, toujours encordés et avec le casque sur la tête. Les successions de petits passages raides font penser à la face N du Tacul. En fait c’est un peu comme si il y avait 2 face N du Tacul l’une sur l’autre.
Le 2 eme bivouac est à 5800m. L’altitude et la fatigue de la veille commencent à se faire sentir. Alex, le monoskieur de la bande doit se farcir la montée en petits skis d’approche avec la board dans le dos. Il décide d’en rester la et nous attendre quelques jours pendant que l’on essaie de pousser un peu plus haut.




Le 3 eme jour ne présente pas trop de changement à part une météo plus difficile. A partir des 6000m, le froid s’accentue avec le vent d’altitude qui se fait sentir. Des nuages nous entourent et donnent un peu de neige. A 6400m on décide de monter le 3eme bivouac. La nuit à cette altitude sans acclimatation est un peu plus tendue. Sarah qui a des problèmes au dos décide de nous attendre la.

Le réveil à 3h00 pique un peu. La tête dans le coton. Une impression d’être en gueule de bois permanente. Les actions et décisions prennent toutes un peu plus de temps !


Lambert essaie pendant 10 minutes de fermer sa Gore-tex avant de se rendre compte qu’il tire sur son doigt et non sur la tirette ;)
Ce n’est pas hyper juste l’altitude, mais c’est le jeu. Luc, Rémi et Ena ont pas mal la forme alors que Flo et moi avons juste envie de vomir tout le temps !

On se met quand même en marche tous les 6. Lentement, très lentement même nous gagnons de l’altitude.
Puis, au col à 6600m arrive le moment de la décision. A gauche, un grand et long plateau glaciaire à traverser et les 7250m du Passu 1, notre objectif principal. A droite, a porté de spatules les 6840m du Passu 2…


La décision est cette fois rapide. Si on arrive tous les 6 au sommet du Passu 2 c’est déjà une belle réussite. On se relaie pour faire la trace, chacun repousse ses propres limites physiques et mentales et nous voilà au sommet à 10h00.
Environ 5h pour faire 400m de dénivelé, pas de quoi faire rougir un Mathéo Jacquemoud, mais on s’en fiche un peu et on a tous le sourire aux lèvres.


La descente est complétement génial. Des pentes à 30° maxi et une belle poudreuse nous permettent d’envoyer en grandes courbes. On perd de l’altitude et en même temps on gagne du poil de la bête. On récupère les potes Sarah et Alex et on file. Collectivement nous décidons de ne pas repasser une nuit sur le glacier et de pousser jusqu’au camp de base. La neige transformée est toujours très agréable à rider et nous voilà sur le plateau glaciaire à 5000m. On remet les peaux pour atteindre le bivouac du premier jour et redescendre par le couloir de la trouille. Les conditions dans le couloir sont légèrement dégeulasses avec des coulées transformés puis regelées… miam miam !
Plus bas le glacier a pas mal évolué en 4 jours d’anticyclone, il nous faut encore être vigilent et passer les gros ponts encordés.

On arrive au camp de base à 22h00 soit une bonne journée en montagne !
Toute l’équipe : cook, assistant cook, guide et sirdar sont la pour nous accueillir et nous féliciter. Ils n’ont jamais vu une ascension du Passu aussi rapide. 4 jours aller/retour sans acclimatation pour faire le sommet, bien joué le Te Crew.

La suite de la météo est très pakistanaise : un peu de neige , un peu de neige et peu de neige tous les jours. Pas d’autre créneau de grand beau prévu… on décide de se casser !!!

Il y a donc deux manières de voir les choses :
Un énorme échec, car on rate de 400m notre objectif principal et que l’on passe très peu de temps en haute montagne…ou une belle réussite !!
6 copains sur une équipe de 8 au sommet d’un 6800 sans acclimatation préalable ; une super descente à ski; aucun incident sur un itinéraire exposé aux dangers objectifs et avalanches ; un bon test pour la suite et surtout un super bon état d’esprit pour toute la team Hunza Matata… je choisi la 2 eme option ;)



Le voyage que nous avons vécu au Pakistan, dans les montagnes des Hunzas était extra ordinaire. Nous avons découvert une région accueillante, des paysages de dingue et des gens formidables. C’est avec une grande tristesse que je pense à l’agence « North Pakistan Adventure » et à son directeur Ishaq Ali. Le service qu’ils nous ont proposé dans cette expé était exemplaire. L’avenir du tourisme et des expéditions semble aujourd’hui bien sombre au Pakistan. La faute aux actes odieux de ce week end ! Souhaitons que cela ne se produise plus jamais à aucun camp de base du Pakistan ou du reste du monde.



Pour finir sur une touche d’humour dans ce monde pourri, rendez-vous le 10 juillet avec le 2 eme Web épisode de notre aventure pakistanaise. A suivre sur Epic TV… si vous avez aimé le premier, vous allez adorer la suite !
                                                             
                                                                                                            Antoine BLETTON