dimanche 25 mai 2014

Shishapangma - Face Sud - Voie Anglaise.



« Pied gauche, pied droit… pied gauche, pied droit… pied gauche, pied droit… Allez, le couloir n’est que cette étape remplie de notes rondes et symétriques… Non mais ça va pas, je déraille ou quoi ! Il faut que je reste concentré sur un truc facile !! Pied gauche, pied droit, pied gauche, pied droit… Le cerveau embué, on doit être pas loin de 7500  m. On est à 7500 ! Putain j’ai froid … j’ai super froid aux pieds et aux mains… je ne les sens plus d’ailleurs… Il faut que je m’arête pour les secouer… Mais que diable allais- je donc faire dans cette galère ? C’est vrai ça, comment j’en suis arrivé la ?? »

Petit retour en arrière (bruit du magnéto qui rembobine)



Nous sommes tous les 4 au pied de la face sud du Shishapangma. Blottis dans la VE 25. Nous campons un peu sous les séracs à 5900m. Le vent est super fort et fait battre notre petit abri de tissu. Notre routeur nous l’a bien annoncé : Il faut partir dans le vent si nous voulons avoir un répit au sommet.  Mais la c’est quand même taquet. Nous n’avons pas encore passé la rimaye que déjà nous y laissons de l’énergie. Le créneau de beau est bien la mais avec lui ce fort vent (60 km/h) qui souffle plein ouest voir sud-ouest.
Mon cerveau fait des nœuds à force d’élaborer toutes les stratégies possibles. Essayer de calculer à quelle heure nous arriverons à tel bivouac, combien de temps pour faire fondre la neige et remplir 1l d’eau. Quoi manger ? Quand ? Ou ?
J’ai lu Messner et Benoist, mais plus récemment « Le guerrier pacifique » de Millman. Alors j’adopte cette stratégie : Ou sommes nous ? ICI ! Quelle heure est il ? MAINTENANT ! Chaque jour est un de pris, chaque nuit gagnée nous rapproche du sommet. Pas plus loin. Vivre l’instant présent.



Le 12 mai nous passons la rimaye. La petite neige tombée la veille s’écoule en bon gros spin drift sur nos têtes. Les rafales de vent finissent de bien nous réveiller. En revanche les conditions de progression dans le couloir sont au top. Une neige quick-quick dans laquelle juste les pointes avants des crampons neufs s’enfoncent. Doucement mais surement nous rejoignons le bivouac à 6600m. Bivouac bien connu car c’est jusqu’ici que nous sommes venus nous acclimater. Nous retrouvons la dépose de bouffe, gaz et matos. Tant pis pour une ascension en pur style alpin ! Nous faisons avec les moyens du bord ! Une journée de prise… la nuit est un enfer. Le vent bat à tout rompre les parois de la petite tente d’ascension. J’ai l’impression qu’elle va s’arracher, qu’on va tous finir en bas… Je ne suis même pas vaché, quel con ! Je fini par m’endormir.


13 mai. « Et deuxième jour dans le Shisha… des conditions pas faciles ». La progression est la même que la veille. Couloirs, pentes de neige dure à 50 °, lignes de fuites époustouflantes qui couperaient la chique aux plus chauds des skieurs de pentes raides.


Parfois nous posons quelques broches dans la glace. La corde qui nous relie à 30m est plus un lien mental qu’autre chose. Ne pas tomber… ne pas chanceler. Ah, je crois que Maxou a mis le pied dans une crevasse. Je reste concentré sur la tache basique que je me suis fixé : Je monte le pied gauche, puis je monte le pied droit. Je monte le pied gauche, puis je monte le pied droit. Je monte… ça va, on a compris !


Une longueur de glace assez raide nous attend. Un bon 4 ! à 7000m ça pique quand même. Nous arrivons dans la zone mixte qui marque l’entrée du « pea pod ». Quelques longueurs faciles puis un mur qui paraît ingrimpable ! En fait le Chat Moatti s’en sort avec une quinzaine de mètres en M4.


Une traversée un peu pourri et nous voici dans le couloir proprement dit. Ce couloir a la forme caractéristique de gousse de pois. Les anglais Scott, Macintyre et Baxter-Jones qui ont ouvert cet itinéraire en 82 l’ont d’ailleurs baptisé « Pea pod couloir ». 



Nous sommes à 7100m. Mon record d’altitude mais a cet instant je m’en fiche pas mal. Je reste concentré sur mon programme robotique : pied gauche-pied droit. Encore un petit effort et nous trouvons un bon emplacement de bivouac à 7200 m.


Il nous faut quelques efforts pour terrasser une plate forme dans la neige dure et nous nous enfilons dans les tentes. Le réactor tourne plein pot. Soupe, soupe, purée, soupe, purée, thé… S’en est trop pour Sébiche qui vomit son 4h et son midi aussi ! Une journée de plus en moins. La « nuit » n’est vraiment pas terrible. J’essaie de ne pas penser au sommet, de ne pas penser au vent. Je me force à penser que demain c’est loin et que je recommencerai mon petit jeu pied gauche, pied droit. Le réveil de 2h met fin aux questions.

Une bonne poudre énergétique, enrichie en plein de trucs mais surement pas en goût (Vanille je crois) fera office de petit déjeuner. Ah c’est mon tour de vomir !
Les barres, bonbons et gels énergétiques sont bien au chaud dans la doudoune. Les 2 bouteilles de 50 cl aussi.
14 mai, c’est partit.

Nous apercevons des lueurs au camp de base. Thendi notre sirdar en or a laissé allumé des lumières dans la tente mess. Un petit geste qui fait chaud au cœur.
Nous nous mettons doucement en marche à 4h, avec un sac pour 2. Le mode nuit se prête bien au jeu du pied gauche, pied droit. Je ne me sens pas trop mal, un peu dans ma bulle. Vers 6h le vent devient violent et le froid mordant. C’était annoncé, mais la ça pique vraiment. Nous revoilà dans la situation du départ…

« Putain, mais quel froid d’enc… ! -30°C à 7500m avec en plus un vent à 50 km/h. Mon nez est gelé, ma pseudo moustache aussi, en fait tout mon corps l’est ! J’ai l’impression d’être ivre, ou plutôt en gueule de bois, mais le genre après une grosse cuite à la tequila !!! C’est ABO.
Ne penser a rien d’autre que pied gauche, pied droit… au prochain caillou nous pourrons nous réchauffer. Ah, le soleil tape en haut du couloir. Prochaine pause à cette tache de soleil. Ne penser a rien d’autre que cette tache de soleil. Ah, tiens, nous avons fini le couloir. 7950m. Plus que 100 m ! Ne pas penser à ce maudit sommet. Pente de neige à droite, marcher, marcher bordel… pied gauche, pied droit… une arête. Oh, on voit les plateaux tibétains, l’herbe… c’est beau ! Oh !! On voit l’Everest au fond … c’est beau. 8000m. La barre. Ne pas penser au sommet, suivre l’arête… 


D’un coup je me rends compte que dans une vingtaine de mètres, soit dans une centaine d’enchainements de pied gauche, pied droit ça ne monte plus. Ca veut dire sommet ! Et la ça devient trop dur de ne plus y penser. Ca me submerge. Je chiale comme un gosse… en marchant ! Merde, on va y arriver ! Impossible de m’arrêter de chialer. Mon masque pourtant Julbo est rempli de buée. Mauvais sorcier des nuages, il avait raison, pas de vent à 12h. On y est. C’est magique. 


Je chiale tout ce que je peux. Je repense à tout le chemin pour arriver ici. L’entrainement, les sacrifices. Je pense à tous ceux qui me manquent : La petite copine, la famille, les potes, ceux qui comptent...Il y en a 3 autour de moi mais tellement qui sont loin.


Aie aie aie c’est beau. Impossible à raconter. Combien de temps restons nous ici ? Oh temps suspends ton vol ! 20 minutes en tout. Juste assez pour se reconcentrer… pour la descente.
Le calvaire est loin d’être terminé. Pied gauche, pied droit… mais vers le bas. Ca ne cessera donc jamais ? Le mythe de Sisyphe et tout le folklore… plein le cul ! Nous avons la même lenteur désespérante qu’a la montée : 100m/h au mieux 200m/h, mais cette fois sous le soleil et sans vent. Nous rejoignons notre bivouac à 7200m. Soupe, thé… re vomit ! Quelle horreur. Il faut se casser d’ici. Sebiche gère d’une main de maitre les quelques rappels qui nous reposent à 6600m. Direct dans la tente. Un petit paquet de bonbon, 50 cl de boisson énergétique, un dernier vomi et bonne nuit ! Il nous reste 600m de pentes pas facile le lendemain matin, avec des têtes de zombis et nous passons la rimaye.
Thendi, lionel et Benoit sont la pour nous accueillir. C’est fini, on a réussit. Encore un peu de mal à saisir le truc, à profiter… mais ça va venir.


 Et maintenant ? Plus dur, plus haut comme d’habitude ? Pas si sûr ;)


                                                                         Tonio

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