24
Avril. Nous sommes à Katmandou avec Ena. Les sacs sont bouclés, demain nous
partons pour le Langtang. 7h de Jeep avant de commencer le trek qui nous mènera
au camp de base de notre nouveau projet. Une belle montagne qui culmine à
6200m. Une face vierge et une belle arête à ouvrir… Que du beau en perspective.
Nous
en avons rêvé, nous en avons bavé, mais nous voilà tous les deux en amoureux
pour une chouette expérience.
25
avril. Le trajet est toujours un peu chiant, mais nous faisons des blagues et
des jeux dans la jeep. Le paysage défile. Nous prenons un peu d’altitude avant
d’arriver à Ramche. Nous nous apprêtons à traverser une zone de glissement de
terrain. La route se transforme en piste, nous ralentissons. Ena me demande si
c’est normal que toute la montagne soit en train de tomber… Encore une bonne
blague croate ? Et non !!
D’un
coup je sens le 4*4 faire des bons de 50 cm comme dans un clip de snoop
dog. Je vois un versant entier
s’écrouler. Une pluie de blocs s’abat sur la route. Du micro onde au Hummer en
passant par le frigo américain, toutes les tailles de rochers sont représentées
et nous tombent dessus. C’est ça l’apocalypse ?! fin de la blague.
J’ai
un diplôme d’ingénieur géotechnicien. Dire que je l’ai obtenu avec brio serait
une injure pour mes collègues et chers professeurs, mais j’ai quand même des
notions de mécanique des sols et mouvement de terrain. La réponse est assez
rapide dans ma petite tête. Nous sommes au « centre » d’un
tremblement de terre.
Nous
sortons du 4*4 dans une sorte de panique contrôlée. Bizarrement je suis assez
calme. Alors que je vois Ena et les 2 sherpas courir dans tous les sens autour
de la jeep, j’ai l’impression que le reste de la scène se déroule au ralenti.
Je vois nettement la course des blocs rocheux devant et derrière nous. 10m en
amont et nous étions aplatis… 50m en aval et nous étions en morceaux… Je reste
sur place protégé par ? , par un éperon rocheux un peu plus solide ?
En fait je sais que nous sommes dans une drôle de situation, complétement
vulnérable devant le déchaînement de la nature. J’admet avoir imaginé la fin.
Ah merde, c’est mon heure ! Et puis non, je n’ai pas trop envie de finir
comme une crêpe sous un bloc de 10 tonnes. Le pire s’estompe au bout d’une
courte minute qui paraît durer toute une vie. Nous « marchons » une
centaine de mètres pour rejoindre un endroit un peu plus sur. Ena n’est pas
géotechnicienne, mais la présence de cochons, veaux et autres poulets qui
picorent tranquillement semble lui indiquer un peu de paix et de sécurité. Pas
faux !
Nous
errons un peu avec d’autres rescapés des jeeps et bus voisins. Les répliques
des secousses continuent de nous remuer un peu partout. Personne ne comprend
vraiment ce qui se passe ni l’ampleur de la catastrophe. Les téléphones ne
passent plus et tout le monde essaye de téléphoner en même temps. Bien sûr,
nous avons abandonné tout nos papiers et affaires, dont le téléphone satellite
dans la jeep… Nous essayons de nous poser mentalement et physiquement. Une
heure plus tard, une boîte de chique et une autre de cigarillos avalée nous
reprenons un peu nos esprits. Les Sherpas sont partis en reconnaissance en
amont. Route sinistrée, villages défoncés. « Many people die today ».
Ah merci Gyalzen, je m’en doutais un peu !
En
aval ça paraît un peu mieux. Nous décidons de descendre le plus possible,
jusqu'à trouver un endroit « safe » pour bivouaquer. L’ambiance est
un peu irréelle. Tout le monde a pied sur une route coupée par des glissements
de terrain ou des gros blocs. Tout le monde pose les mêmes questions : Tu
viens d’ou ? Du village du haut, il reste rien. Et toi ? Tu viens
d’ou ? Du village du bas, il ne reste pas grand chose. Je ne parle pas
Népalais, mais dans ces moments, la détresse est universelle.
Nous
récupérons quelques affaires à la Jeep et rejoignons un petit village en
contrebas de la route. Nous installons une sorte de camp de base, qui ressemble
plus à un camp de réfugiés.
Nous partageons un peu de nourriture et même de
l’alcool avec les locaux. Ena soigne quelques enfants et vieillards avec le peu
de pansements et médicaments que nous avons… Pas facile !
Nous
allumons enfin le tel satellite pour donner des nouvelles en France et en
prendre sur le reste du Népal. Tendhi Sherpa, notre sirdar et ami nous annonce
que plus de 1000 personnes sont déja décédés. Katmandou, camp de base de
l’Everest, vallée du Manaslu… C’est quand même une grande catastrophe !
Il
nous faudra quelques jours pour récupérer toutes nos affaires dans la Jeep et
rejoindre Katmandou avec un petit taxi.
A la
capitale, c’est bien pire que ce que nous pensions ! Un bordel monstre… Tout
le monde vit et dort dans les parcs et dans la rue. Il n’y a plus d’électricité,
pas grand chose à manger ou à boire.
Les
jours défilent à Katmandou, la situation s’améliore doucement, mais le compteur
de morts ne fait qu’augmenter… Nous passons pas mal de temps avec Tendhi et nos
amis italiens qui devaient aussi aller en expé dans le Langtang !
Impossible
de rejoindre les équipes de secours officiels. Nous allons dans les petits
villages autour pour amener un peu de vivre et de médicaments… Une goutte
d’eau !
Il
est temps de rentrer et retourner à une vie normale. Les secours et l’aide
internationale s’organisent. Il faudra du temps et de l’énergie au Népal pour
se relever.
Comment
conclure d’un point de vue personnel :
Je
suis monstrueusement chanceux ? Ce n’était simplement pas mon heure ?
Dans nos vies d’alpinistes et encore plus himalayistes, nous acceptons cette
proximité avec la « zone de la mort » et pas seulement après 7500m. «
Souvent du bon côté, parfois sur le fil » disait Seb Bohin. Je me rappellerai
longtemps de ce 25 avril dans la vallée du Langtang, où j’avais un pied de
chaque côté !
Tonio.