Le corps humain n’est pas fait pour
vivre au pays de l’oxygène rare. Si l’on pose directement un alpiniste à 8000
m, il risque de mal s’en sortir assez rapidement.Mais en prenant son temps, en montant
progressivement, l’alpiniste en question met plus de chance de son côté. C’est
le principe de l’acclimatation. Un principe désespérant de simplicité : Vous vous sentez bien à cette altitude
? Allez donc vous rendre un peu mal 400 m plus haut. Le lendemain matin, vous
vous sentez un peu mieux ? Allez donc vous rendre un peu plus mal 400 m plus
haut… et ainsi de suite !L’alpiniste flirt avec le mal aigu des
montagnes (MAM). Il tangente avec les maux de têtes, l’anorexie d’altitude et
les vomissements… Le tout en se régalant pendant une semaine de purées sans
sel, de soupes lyophilisées et de mueslis à l’eau. Ça vous fait rêver ?Quand personne de l’équipe n’est
malade, que le ciel affiche un bleu fixe pendant 7 jours, que la vue sur les
géants himalayens (Manaslu, Annapurna, Dhaulagiri) est chaque jour plus majestueuse
; et que l’acclimatation se solde par l’ouverture d’une jolie voie facile sur
un sommet vierge de 6325 m… La réponse est oui, définitivement oui.
Mardi
1 septembre. Par
des alpages et des collines nous gagnons de l’altitude. 4600m, 4700m, 4810m… A
4850m nous décidons de poser notre bivouac sur la rive droite de la rivière «
Chhungma Khola ». C’est bien suffisant pour la première journée. Les premiers
signes de maux de têtes ne sont pas très loin. La nuit est bonne pour
l’ensemble de l’équipe et nous repartons le lendemain à 10h. Nous suivons la
rive droite de la Chhungma Khola à travers une moraine délicate et gagnons
progressivement du terrain. Vers 12h30 nous trouvons un emplacement de bivouac
bien confortable, cette fois en rive gauche de la rivière. 5300m. Nous avons
progressé de 400m, contrat rempli. Les attentes sont parfois longues durant ces
phases d’acclimatation. L’activité physique est à déconseiller pour permettre
au corps de s’adapter à ces altitudes chaque jour un peu plus élevées. Lecture,
jeux de cartes, mots croisés ou simplement discussions, nous occupent jusqu’au
prochain rendez-vous : le repas du soir. Le menu est le même pour la semaine :
une soupe lyophilisée, une purée accompagnée de protéines végétales, une
tisane, un carré de chocolat noir… et bonsoir ! La nuit tombe aux environs de
19h et nous restons dans les tentes jusqu’au lendemain 7h.
Mercredi
2 septembre. Ces
nouvelles altitudes commencent à faire un peu mal au crâne de Cyril. Associé à
une mauvaise nuit, le test de l’oxymètre est formel. Il doit rester à cette
altitude pour une journée et une nuit de plus. Pas question de gagner 400m,
sous peine de tomber vraiment malade et de devoir redescendre jusqu’à Lo
Manthang.
Pour les 2 Sébastien, Antoine et Max,
la progression de l’escargot continue. Nous grimpons de raides moraines aux
blocs plus ou moins instables pour gagner un plateau à l’altitude 5900m. C’est
un peu haut, mais il s’agit du seul emplacement « confortable » de bivouac que
nous avons trouvé pour passer une nuit correcte. Au lendemain matin, les
esprits sont un peu hypoxiques. Une grande pente d’éboulis puis une belle arête
de granite nous porte jusqu’à un replat neigeux à 6150m. Nous apercevons le
sommet. Un coup d’œil sur la carte nous montre qu’il culmine à 6325m et qu’il
n’a pas de nom... Ce sera pour demain, si la nuit n’est pas trop mauvaise. Nous
joignons la deuxième équipe (Pierre, Didier et Cyril) par téléphone satellite.
Ils ont rejoint notre bivouac de la veille (5900m) et nous sommes heureux d’apprendre
qu’ils vont tous bien.
Vendredi
4 septembre. La
vue est toujours superbe au réveil. Les maux de têtes et la nuit pénible
semblent secondaires. Nous nous préparons lentement et difficilement pour un «
push » vers le sommet. Une surprise nous attend : Pierre nous rejoint. Il a 31
ans aujourd’hui et semble bien motivé pour s’offrir son premier 6000m. L’arête
alterne entre superbe granite et éboulis verticaux. Une courte pente de
neige/glace à 40°, un dernier ressaut rocheux et nous voilà tous les 5 au sommet
avec le sourire. 6325m.
La vue est encore plus belle avec d’un côté les
plateaux tibétains et de l’autre les géants himalayens. Nous décidons de
repasser une nuit à 6150m pour optimiser l’acclimatation. Le lendemain matin,
Pierre Didier et Cyril rejoignent le sommet. Leurs sourires nous font du bien.
Nous décidons de nommer le sommet «
Chhungma Himal » et proposons pour cette nouvelle voie : « L’arête de la
Duchesse » (400m – PD+).
La
région du Mustang s’est révélée être un excellent choix pour l’acclimatation :
Un superbe créneau météo avec 7 jours de grand beau, une vue majestueuse, 6
nuits au-dessus de 4850m et un sommet vierge de 6325m…