C’est quoi l’idée d’une hivernale ?
Attendre cette période de l’année où les jours sont les plus
courts, les conditions en montagne les moins bonnes et les températures les
plus froides.
Choisir une voie qui nécessite plusieurs jours d’ascension,
donc plusieurs nuits à se cailler.
Remplir des gros sacs avec pleins de trucs lourds, pour
rendre l’ascension encore plus physique.
Pas besoin d’un dessin pour comprendre que l’idée est de
bien en chier !
Nous voilas partis dans cette optique avec Max et Moatt’.
Sans aller jusqu'à la superbe cordée « minus et cortex » ils
représentent assez bien l’opposé en alpinisme. Le premier, même s’il cache sa
sensibilité derrière une carapace de mauvais boutch, est bien à l’écoute de ses
sensations. Alors que le deuxième n’est nullement influencé par le poids du
sac, la présence de glace noire et de vent glacial… C’est bien connu les
extrêmes s’attirent et finalement se rejoignent. Ils se complètent assez bien,
le premier déversant ses excréments remplis de lactose, gluten et sucres
rapides sur la « terrasse » de
bivouac, pendant que l’autre vomit ses lasagnes lyophilisées, telle un ivrogne
célébrant son proba !
Et c’est avec ces 2 compagnons d’infortune que je m’apprête
à vivre une belle galère dans quelques mois au Népal ! L’autre Seb, de la
race de Yannick, a intelligemment décliné notre offre de bavante organisée,
prétextant un agenda de ministre surbooké. D’un autre côté, il nous concocte
une logistique aux petits oignons, allant chercher les ski à la rimaye et venant
nous récupérer tout fringant en Italie.
Dresser ce tableau sans décrire ma petite personne ne serait
pas tout à fait honnête. Alors je suis la, au milieu tel un centriste. Tel un
mauvais sportif oui ! Comme un bon élève j’ai mis ma ceinture cardio pour
écouter les battements de mon cœur à l’approche de ces longueurs mixtes que je
laisse bien volontairement à Max la peine de grimper !
Le choix de la course a pas mal évolué dans les jours
précédant l’ascension. Motivés par la « Desmaison », Yann nous informe
que le créneau n’est pas si beau que ça : seulement 2 jours d’anticyclone
et avec un fort vent du Nord. Nous choisissons un projet moins dur
techniquement qui nous prendra moins de temps à grimper. Moatt’ a repéré que la
goulotte à gauche du linceul était formée. L’idée de faire la « Magic
line » est lancée. (Attaque par « supershroud » et sortie par
« directe à la pointe walker »)
Dormir au pied et grimper léger sans bivouac ? Non,
plutôt grimper lourd et bivouaquer dans le linceul. L’idée d’un mauvais bivouac
assis nous motive assez bien ! C’est surtout l’idée d’être en montagne qui
nous motive. Histoire de voir si notre préparation de champions à base de
graines, de cardio et de fonte à porter ses fruits.
Nous voilà donc tous les trois, lundi 9 mars à la rimaye du
linceul.
La descente de la vallée blanche remplies de bosses gelés avec les
gros sacs et les petits skis est toujours aussi sympa. La remontée en peaux
jusqu'à la rimaye, toujours avec ces maudits gros sacs aussi !
L’idée de la goulotte de gauche est depuis longtemps
oubliée. En fait, elle n’est pas du tout formée. A un tel point que nous nous
demandons comment ce diable de Moatt’ a t’il pu la voir en condition la semaine
dernière. Cela restera un nouveau mystère pour la science.
Le linceul n’est d’ailleurs pas en top condition. Le vent a
bien séché ce secteur des Jorasses et de la belle glace bien noire ressort par
endroit.
Il est 12h quand nous attaquons. 4 belles longueurs de
goulotte (70-80°) nous mettent dans l’ambiance et c’est partit pour la corde
tendue dans les pentes de glace noire du linceul (50-60°). La grimpe est assez
variée et bien sympa.
Non je rigole bien sûr. C’est chiant à mourir. Toujours les
mêmes gestes : monter le piolet droit, monter le piolet gauche, monter le
crampon droit, monter le crampon gauche. Toujours la même inclinaison, toujours
la même mauvaise glace ! Ca n’avance pas, ça n’en finit pas et ça nous
fatigue à mort. A 18h nous sommes à 3600m, autant dire qu’il reste un bon
morceau. Ca serait pas mal de trouver un emplacement de bivouac mais dans cet
océan de pentes, ça paraît compliqué. En rive gauche, une accumulation de neige
contre le rocher paraît envisageable. IL nous faudra quand même 3h de
terrassement avant d’avoir un bivouac avec 3 places semi assises. Dément !
Bonne nuit !
En même temps on l’a bien cherché. On redécolle le lendemain
à 7h, pas encore complétement congelés ni même reposés ! Réveil musculaire
sympathique : 200m de pente de glace à 50° et un mauvais relais au pied de
la goulotte cachée.
La suite est une rampe de droite à gauche, jamais très raide
(70-80°) avec du rocher moyennement solide et un fin plaquage de glace. Une
dizaine de longueurs qui cotent 5+ en glace et M5 en mixte. L’ambiance est
vraiment classe et la grimpe très jolie. Cette fois c’est vrai ;)
Nous débouchons sur l’arête des hirondelles ou le vent
termine de nous congeler les pieds et les mains. 100m de mixte facile et nous
sortons au sommet de la pointe Walker à 16h30. Bien contents et un peu cuits ou
plutôt bien cuits et un peu contents, il nous reste la descente qui n’est pas
connu pour être cadeau ! Un exercice particulièrement intéressant nous
attend. Une croute de neige dure que l’on casse pour venir s’enfoncer jusqu’au
bas ventre dans de la neige semoule. Résumant bien la peine de notre ascension
nous arrivons au refuge Bocalate à 20h et le lendemain à 11h à Planpincieux. Ce
n’est qu’autour d’une belle combinaison coca-pizza que nous reprenons des
couleurs.
Tu l’as voulue, tu l’as eu… ton hivernale aux Jorasses.
Et si tout cela n’était qu’un prétexte? Si la vraie raison
qui nous pousse à aller en montagne n’était pas la peine, mais le
plaisir ? Se sentir bien dans l’instant présent, en harmonie.
Si c’était aussi simple en vérité, ça serait moins sympa à
raconter ;)
Tonio