Une
fois réveillé, vous souvenez vous de vos rêves ?
Le
mien commence comme celui d’Aloysius Bertrand :
« Il
était nuit. Ce furent d’abord, - ainsi j’ai vu, ainsi je raconte, - une abbaye
aux murailles lézardées par la lune, -une forêt percée de sentiers tortueux, -
et le Morimont grouillant de capes et de chapeaux. »
Dimanche
2 novembre, 1h30 du matin, glacier de Leschaux. La lune guide nos pas. La lune
et la trace des 50 alpinistes qui nous ont précédés cette semaine dans la face
Nord des Grandes Jorasses.
Je
marche à demi assoupi. Je rêve encore au confort du refuge de Leschaux que nous
venons de quitter. Encordée à 10 m, Ena Vrbek et 10 m plus loin Luc Mongellaz.
Nous avançons en silence, concentrés sur notre objectif. Cette voie qui sort à
la Pointe Young porte vraiment bien son nom. Je repense au chemin pour en
arriver là. Face nord des Jorasses or not face nord des Jorasses ? C’était
la question de la semaine !
« Réaliser
une voie dans la face nord des Grandes Jorasses n’a rien d’anodin » dirait
le sage Ratelius. C’est encore moins anodin quand tu partages cette grande
course engagée avec ta copine, ou plus exactement… ta femme.
En
cet automne 2014, les conditions sont excellentes et cette semaine la météo est
au beau fixe. Il faut saisir cette opportunité. Coups de fil de rigueur,
sempiternelles questions aux copains et copines qui ont grimpés récemment dans
les Jorasses :
Seb
Ratel et Ju Ravanello dans « Michto-Polonaise », Remi Peschier et
David Autheman dans « Rêve éphémère », François Marsigny, Damien
Tomasi, Elodie LeComte et Fanny Schmutz-Tomasi dans « Belle hélène ».
Le
trouillomêtre redescend un peu. Tous me confirment les bonnes conditions. Il
n’y a pas de passages extrêmes, la face n’est ni en glace bleue ni en neige
incohérente, la trace de descente est bonne…
Quand
Luc Mongellaz décide de se joindre à nous, l’austérité de la face nord en prend
un coup. La grosse voie rigolote de lucho, son optimisme communiquant et son
très bon niveau technique en fait le partenaire de cordée idéal. Encore plus
pour Ena qui a enfin quelqu’un avec qui partager ses cigarillos aux
relais J
Nous
voilà donc à la rimaye. 4h du matin. C’est parti pour 500 m de pentes de
neige/glace entre 55 et 70°. Le clair-obscur de la face apporte une touche
presque féerique à cette grimpe laborieuse. La progression s’effectue à 60 m,
en corde tendue. Quelques friends et bonnes broches entre nous. Quand il ne me
reste que 2 broches sur les 8 emportées, je m’arête pour faire relais.
Luc
prend la direction des opérations au pied de la superbe goulotte. Jamais
extrêmement difficile à grimper, ou à protéger, sans être débonnaire, nous
avançons bien. En 5 longueurs nous sommes dans le haut de l’itinéraire.
Petit
rappel de 10m. Une dernière pente de neige-glace-mixte et c’est le sommet de
l’antécime de la pointe Young.
14h.
Malgré la fatigue le sourire se lit sur nos lèvres.
La
vue est magnifique. Le temps s’arête un peu. Un proverbe chinois rappelle qu’une
fois au sommet de la montagne tu dois continuer de grimper. C’est assez vrai
ici, avec la particularité de grimper vers le bas ! La descente n’est
vraiment pas un cadeau. Trois rappels nous posent au bivouac Canzio. Il faut
maintenant dé-escalader, franchir des rimayes à la descente et louvoyer
entre les crevasses d’un glacier du Mont Mallet légèrement torturé.
Il est 18h
lorsque nous sortons de ce labyrinthe. La nuit nous gagne et il reste à
rejoindre Chamonix via le glacier de Leschaux, la mer de glace puis le montenvers.
23h,
nous déposons les sacs à la maison des Praz, enlevons les chaussures pour faire
respirer les pieds et les jambes fatiguées. La joie, la satisfaction et même
une petite fierté nous envahie. Celle d’avoir réalisé nôtre « Rêve
éphémère d’Alpiniste. »
Antoine
Bletton
Merci pour ce super partage !
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