Grimper la massue, un
rêve éphémère.
Un rêve, parce
que depuis que j’ai commencé la cascade de glace, cette ligne m’attire.
Un peu comme un aimant, un peu comme une vilaine drogue. On
sait que c’est dangereux, risqué, mais on a quand même envie d’essayer, d’y
gouter.
Le premier grade 7 de l’histoire (ex æquo avec la lyre)… le
double cigare… l’énorme méduse sommitale sui donne son nom à la cascade. Une
massue posé sur un tube de 2m de diamètre… un défi au cascadeur « Viens me
grimper si tu en es capable, mais n’oublie pas d’être délicat »
Ephémère, parce
que la massue est rarement formée et pas longtemps en condition.
Depuis l’ouverture en 92 par François Damilano, elle a du
être grimpé 3 ou 4 fois, toujours avec précaution et par des très bons grimpeurs.
Il faut que toutes les conditions soient réunies pour que la structure pousse
(vers le bas) et se forme correctement. Il faut que le danger d’avalanche soit
très limité pour s’aventurer dans le coupe gorge d’accès et dans la grimpe. Il
faut que la température soit adéquate, pas de grand redoux ou refroidissement
brutal le jour de l’ascension. Enfin il faut se sentir prêt physiquement et
mentalement.
Ce mercredi 20 février, je ne me sens pas vraiment un
guerrier. Plutôt chaton que lion !
Mais j’ai mon joker avec moi : Arnaud Bayol, mon
collègue de travail, mais néanmoins ami. Aussi surnommé Bayol l’idole (à
prononcer avé l’accent du sud oueest), c’est lui qui m’a traquenardé pour venir
essayer : « Allez, c’est pas souvent formé… » « Allez, on
va juste voir… » « Allez, au pire je grimpe tout en tête… »
J’ai beau me cherché toutes les excuses : « J’ai
mal aux bras… » « On a pas mal bourriné les deux jours précédents… (« La
dame du lac » et « Ilynx » le lundi, une grosse bartasse pour
aller essayer l »e cirque des fonts » le mardi)» « J’ai pas trop
fait de glace cette année »
Tout ça c’est dans ma tête. Je ne me sens pas prêt pour ce
genre de voie. J’ai déjà dit que j’arrêterai la glace le jour ou j’aurai grimpé
la massue. « Bon Ok nono, on va voir au parking et on avise… »
Le rendez-vous est pris au parking en face du monstre.
Nicolas Beauquis est la aussi. Il a déjà grimpé la massue en 2011 et fait
équipe cette fois avec le jeune Antoine Rolle. Nico a un gros vécu, une belle
expérience des cascades très délicates. Tous les 4 nous admirons la belle aux
jumelles. Les pronostics sur les chances de grimper ne sont pas glorieux. En
2010 Nico a du faire demi tour au pied de L2, l’eau s’écoulait à l’intérieur du
tube.
Nous avançons en raquettes avec un sentiment bizarre,
vraiment motivé mais peu confiant. Dans la tête le même doute, la même
question : est-ce grimpable ?
Nous décidons de grimper la première longueur et de voir au
pied de L2… A 4 l’ambiance est différente. 4 regards, 4 analyses, 4 décisions différentes.
Il faut être vigilant quant à l’effet de groupe, mais d’un point de vu
personnel je dirai, 2 fois moins de chance de renoncer. Nous choisissons de
grimper à 4. Nico réalise la première longueur difficile.
Le tube est en glace
légèrement sorbet, il y a pas mal de relief, pas mal de pieds. C’est agréable.
Il vient butter sous la méduse et traverse à gauche dans des stalactites. Il
prend du dévers. Le rétablissement est physique, délicat. Antoine le rejoint en
second et me laisse les broches pour gagner du temps.
Je grimpe en prenant du plaisir, les ancrages sont déjà
fait, le nettoyage aussi. Il faut juste se concentrer sur la gestuelle, grimper
calmement pour ne pas fragiliser la colonne.
Je me sens bien, en confiance,
sans pression. La décision capitale sera à prendre au pied de L2, qui ne semble
pas si mal vu de prêt. Arnaud me rejoint
et confirme que la première longueur est superbe, sans être trop facile.
Analyse à 4, nous regardons le tube devant nous, l’eau coule
au travers… aïe.
Pour se protéger nous faisons un relais dans le cône avec 2
broches et 2 lunules de glace. Nous installons aussi un relais avec 2 pitons,
triangulés dans le rocher, pas terrible mais au moins pas dans la
structure !
Arnaud se sent d’essayer… sans pression… si les premiers
mètres ne sont pas bons, il redescend et nous rentrons à la maison.
Il clipe un brin (le rouge) dans le relais du cône puis
s’engage dans le tube. Je me suis décordé de l’autre brin (le jaune). Sa
stratégie est de brocher régulièrement dans le tube pourtant peu stable sur le
brin jaune, une fois dans la glace plus saine, collé au rocher il re-clipera le
brin rouge. En cas de petite chute, il sera assuré par le brin jaune ; en
cas d’effondrement de la structure, il sera assuré par le brin rouge. Mais à
vrai dire, personne ne souhaite ce scénario catastrophe.
Il avance doucement, prudemment, délicatement. Il crochete
de petites aspérités, de minces colonnes. Il est serein, le fait de brocher
régulièrement lui permet de grimper sans se crisper, sans trop taper et surtout
sans fragiliser la structure.
Le voilà au « hot spot », l’endroit ou le tube
recolle le rocher.
L’endroit ou statistiquement les structures s’effondrent
lorsque les piolets des grimpeurs envoient trop de vibrations dans la colonne.
Je suis bien concentré à l’assurage, mais pas stressé.
Arnaud grimpe remarquablement bien. Il prend son temps. Il est fin, doux,
délicat. Les mauvaises langues diront que ça ne lui ressemble pas trop, mais ça
serait mal le connaître en glace !
Il passe le crux et s’engage dans la méduse. Le nettoyage
des stalactites est physique. Il peut enfin mettre une bonne broche dans la
glace saine et soufflé un coup. Nous aussi d’ailleurs.
Il est complétement cramé, cela fait plus d’une heure qu’il
bataille dans cette longueur. Il casse les stalactites les plus fragiles, ce
qui accentue encore le dévers.
Vu du bas c’est beau et impressionnant. Nous l’encourageons
et il utilise ses dernières forces pour ce rétablir au dessus de la méduse. Ça
sent bon la réussite.
Il lui reste une quinzaine de mètres avant de crier un
« relais » salvateur.
Il ravale mon brin jaune et je ne suis plus relié au tube
instable, seulement à quelques bonnes broches et au relais sommital par le brin
rouge.
Même en second je me dois d’être léger. J’ai l’impression de
grimper sur des œufs. Je ne trouve pas les crochetages d’Arnaud. Sans
m’énerver, sans taper, je progresse doucement.
Chaque mètre gagné est un
soulagement. Le « hot spot » avalé me donne encore plus confiance. Je
me régale dans l’escalade athlétique de la méduse. Les ancrages d’Arnaud sont
bons et visibles. Les piolets galbés et les crampons monopointes sont des armes
dans ce genre de profil. Je le rejoins au relais avec un sourire de 3km.
« Purée, on dirait bien qu’on l’a fait.»
Le jeune Antoine grimpe à son tour en tête. Il profite des
broches en place et des ancrages pour se régaler. Lui aussi grimpe très bien,
très léger.
Une fois de plus la structure ne vacille pas. Au tour de Nico qui
grimpe parfaitement et laisse éclater sa joie au relais. C’est la deuxième fois
qu’il grimpe la massue. Cette ligne mythique. Chapeau.
Nous descendons en rappel puis en raquettes. Un dernier coup
d’oeil à la belle qui nous a laissé lui chatouiller le ventre, sans sourciller.
Nous nous tapons dans les mains, nous nous remercions et
félicitons. C’est un peu l’état de grâce. Une sensation grisante et unique.
Celle d’avoir surmonté nos doutes, nos interrogations, nos peurs. Celle d’avoir
pris les bonnes décisions face à une situation complexe et délicate.
Lorsqu’une journée aussi risquée se déroule bien, il est
facile de se laisser aller à fanfaronner. Un sentiment enivrant de contrôle
peut nous gagner mais il ne faut pas oublier le côté aléatoire et dangereux
d’une telle entreprise. Une fois l’euphorie retombée, Arnaud a eu du mal à
dormir et je me demande si le jeu en valait vraiment la chandelle.
Le « buzz » que peut amener sur la toile ce genre
d’ascension ne doit pas faire oublier qu’il s’agit d’une entreprise très
sérieuse. Attention à l’effet de groupe et surtout grimpez légers.
Je n’arrêterais pas la cascade après avoir grimpé la massue.
Mais pour que des journées comme celle ci restent un plaisir, elles ne doivent
pas être trop nombreuses. Elles doivent rester un rêve éphémère.
Antoine BLETTON.
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